«Tout ne sera pas réglé par la vaccination», Dr Guillaume Dedet

«Tout ne sera pas réglé par la vaccination», Dr Guillaume Dedet

Médecin et analyste des politiques de santé, enseignant à Sciences Po

Jeunes Médecins : Schématiquement, la carte de l’Union européenne montre aujourd’hui trois grands groupes distincts : un bloc central qui est confiné, un bloc du Sud, incluant la France, qui est sous couvre-feu, et les pays scandinaves où les restrictions sont moindres. Cela traduit-il des différences d’approches stratégiques face au virus ?


Dr Guillaume Dedet : Non, cela ne reflète pas des différences de stratégies mais des différences de dynamiques épidémiques à un instant T, puisque tous les pays ont, à un moment ou à un autre, à peu près utilisé les mêmes mesures pour limiter la transmission du virus. Simplement, on voit que les choses ne sont pas mises en place en même temps mais le sont quand la situation locale le requiert. En simplifiant, quand vous êtes dans une phase ascendante, pas contrôlée, vous mettez en place un confinement ; quand vous avez stabilisé la situation et êtes plutôt en phase de diminution des cas, les restrictions sont moins fortes, comme pour le couvre-feu. Et si vous êtes à faible niveau de transmission, vous levez le plus souvent la plupart des restrictions. Ce qui est le cas de certains pays scandinaves. Ils ont de faibles niveaux de transmission et à ce titre là ils peuvent se permettre d’avoir une approche plus « light ».

Pensez-vous que l’accès généralisé aux vaccins sera une réponse suffisante ?


Dr Guillaume Dedet : Il est difficile de le dire. Les premiers éléments provenant d’Israël, qui est le pays le plus avancé en matière de vaccination, sont plutôt encourageants. On voit clairement qu’il y a une baisse nette des infections, des hospitalisations et des contaminations dans les populations qui commencent à atteindre des taux de vaccination importants comme les personnes de plus de 60 ans (environ 70% des gens de plus de 60 ans en Israël ont reçu les deux doses et plus de 80% en ont reçu la première). Cela montre que le vaccin a une efficacité réelle.

Même face aux mutations du virus ?


Dr Guillaume Dedet : C’est une vraie question. Les premières études portant sur l’efficacité des vaccins actuellement disponibles contre les variants les plus connus montrent une efficacité moins importante mais peut-être suffisante (ceci étant moins vrai pour le variant identifié en Afrique du Sud). Les industriels sont déjà à pied d’œuvre pour développer des « variations » des vaccins qui seraient plus efficaces contre les variants connus. Si durant la mise en place des grandes campagnes de vaccination on ne découvre pas de nouvelle mutation majeure/grave du virus, on peut espérer que la vaccination, une fois atteint un taux de couverture vaccinale important en Europe, puisse permettre de briser la dynamique de l’épidémie. Ceci est d’autant plus envisageable que deux des trois vaccins vaccins disponibles ont un taux d’efficacité très élevé.

La France Insoumise et Les Républicains se rejoignaient la semaine dernière sur la nécessité d’apprendre à vivre avec le virus et de réfléchir à des modes d’organisation pour retrouver un semblant de vie normale…


Dr Guillaume Dedet : L’objectif des pouvoirs publics aujourd’hui, avec l’organisation actuelle, est je pense de dire : tenons encore quelques mois et voyons si le vaccin nous permet de sortir de la situation que nous connaissons depuis un an, assez rapidement. C’est la vision d’une reprise quasiment normale d’ici la fin de l’année, avec un vaccin qui nous permettrait de sortir progressivement des restrictions que nous connaissons.
Pour autant, il est probable que tout ne sera pas réglé par la vaccination. Comme je le disais, l’’efficacité des vaccins contre les variants est réelle, mais elle est moindre que pour la souche originale. Donc tant qu’il y aura une souche active quelque part dans le monde, il y aura un risque d’échappement (et ce risque est d’autant plus élevé quand les niveaux d’immunité sont grands). Dire qu’on va désormais vivre avec le virus est une évidence. Fin 2021, les pays les plus avancés jouiront d’une probable grande couverture vaccinale mais la menace ne sera pas pour autant entièrement levée. Il faudra continuer à être vigilant et des rebonds épidémiques seront possibles.

Il n’y aura donc pas de retour possible au « monde d’avant » ?


Dr Guillaume Dedet : Oui, je pense que nous ne vivrons pas entièrement de la même manière. Il y aura par exemple des gens qui continueront à porter des masques même si ce n’est pas obligatoire. Beaucoup de choses seront différentes pendant un certain nombre d’années car le virus ne disparaîtra pas.. Les sociétés qui ont été impactées par le Sras par exemple il y a déjà plusieurs années, comme le Japon, ont déjà intégré ces changements : les gens portent « naturellement » des masques dans la rue, dans le métro, ont une grande capacité à accepter les mesures sanitaires imposées… Penser à des alternatives, en s’interrogeant sur comment on peut mener une vie satisfaisante dans une situation où une épidémie peut réapparaître, est important. Cela prendra du temps à l’accepter mais nous nous y résoudrons. Nous n’aurons de toute manière pas le choix.

Comment regardez-vous le début de polémique concernant l’ouverture de la vaccination anti-covid aux pharmaciens ?


Dr Guillaume Dedet : A l’heure actuelle, il n’y a pas assez de doses de vaccins pour vacciner larga manu. Mais des centaines de milliers de doses vont arriver semaine après semaine, en augmentant de manière exponentielle. Si aujourd’hui le goulot d’étranglement est situé au niveau de l’approvisionnement, dans un mois et demi, il va sûrement l’être au niveau de la vaccination elle-même. Et les médecins, seuls, ne seront pas capables de vacciner tout le monde. Toutes les forces seront nécessaires. Il est important de penser les choses sur le temps long.



Crédit photo : DR

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