Suicide au travail : les hôpitaux français plus dangereux que France Télécom ?

Suicide au travail : les hôpitaux français plus dangereux que France Télécom ?

Les jeunes médecins de nouveau endeuillés par un suicide

La communauté médicale est de nouveau endeuillée par le suicide d’une jeune interne, qui tend à démontrer l’insuffisance des dispositifs de prévention récemment mis en place. Car si la cause d’un suicide est toujours multifactorielle, force est de constater que les médecins sont plus exposés que la population générale aux risques psychosociaux. Et que l’action des pouvoirs publics n’est pas à la hauteur de l’enjeu…

La triste nouvelle est tombée sur Twitter le 3 mai. “Une interne en médecine sur Lyon à mis fin à ses jours hier”, écrivait alors Reynaud Lucas, président du Syndicat autonome des internes des hôpitaux de Lyon (SAIHL). “Le temps est au deuil, le choc est profond. Nos pensées vont à la famille. Viendra le temps des réponses et des actions, rien ne permet d’accepter la détresse de nos jeunes collègues et amis.”


Elle s’est ensuite répandue sur les réseaux sociaux, suscitant une vive émotion partout où elle passait. “Je suis triste”, pouvait-on lire sur le compte Twitter “Et ça se dit médecin”. “Tellement triste, qu'une jeune femme brillante qui a choisi de consacrer sa vie aux autres puisse être poussée à en perdre la sienne. Le plus triste étant que ce n'est pas un cas isolé, on ne compte plus les internes décédés par suicide, dans le silence…”


Car si la cause d’un suicide est toujours multifactorielle, force est de constater que les médecins, en particulier les plus jeunes, sont plus exposés que la population générale aux risques psychosociaux. En 2017, une vaste enquête sur la santé mentale des jeunes médecins menée par l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI) a en effet montré que 66,2% d’entre eux souffraient d’anxiété, 27,7% de dépression, et 23,7% avaient déjà eu des idées suicidaires.

Cette interne travaillait jusqu’à 80 heures par semaine


L’interne qui s’est donné la mort à son domicile le 2 mai, à l’âge de 25 ans, était originaire de la région parisienne. Elle venait d’achever son stage de premier semestre dans un service d’hépato-entéro-gastrologie “réputé difficile” des Hospices civils de Lyon (HCL). D’après la presse locale, la jeune femme travaillait jusqu’à 80 heures par semaine, ce qui lui laissait peu de temps pour créer des liens, et elle était “très seule”.

Contactée par Jeunes Médecins, l’Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes n’a pas souhaité répondre aux questions soulevées par son suicide. La direction des HCL, en revanche, nous affirme s’être “immédiatement mobilisée” sur “les deux établissements endeuillés” : le centre hospitalier Lyon-Sud, où la jeune femme avait effectué son premier semestre, et l’hôpital de la Croix-Rousse, où elle devait démarrer son second semestre. Des médecins et psychologues du travail seraient allés à la rencontre des personnels des services d’hépato-gastro-entérologie “pour leur permettre d’exprimer leur douleur et leur chagrin face à la perte de leur collègue”.

“Il est plus simple de parler de ces situations délicates à ses pairs”


“Des groupes de paroles ont été montés et des prises en charges et temps de parole individuels proposés, soit au niveau de la médecine du travail soit au niveau de la Cellule d'urgence médico-psychologique (CUMP) du SAMU-69”, précise la direction des HCL à Jeunes Médecins, rappelant également l’existence de dispositifs pour les internes qui rencontrent des difficultés dans leur cursus et qui ont l’impression de “perdre pied”.

Et notamment le Centre de prévention et d’intervention contre le harcèlement, le sexisme et la maltraitance des étudiants et des internes lors de leur formation hospitalière (CEPIM), “nouvelle instance mixte HCL / Université de Lyon, créée en direction des internes et des étudiants, et qui associe leurs représentants, partant du principe qu’il est plus simple de parler de ces situations délicates à ses pairs”.

“Les repos de sécurité ne sont pas respectés partout”


Au niveau national, une charte pour la prévention des risques psychosociaux chez les internes a été élaborée et "un centre de ressources dédié à l’accompagnement de ces jeunes en souffrance devrait voir le jour à l’été 2019" selon la ministre de la Santé Agnès Buzyn. “Sa mise en place rapide est indispensable” pour les syndicats d’internes et la Conférence des doyens des facultés de médecine, qui renvoient néanmoins le gouvernement à ses responsabilités :
“Malgré un rappel à l’ordre de l’état français par le parlement européen, les conditions de travail des internes sont toujours difficiles, notamment au niveau du temps de travail, qui selon plusieurs enquêtes, dépasse les 48 heures. Les repos de sécurité, quant à eux, ne sont pas respectés partout.”

Les syndicats d’internes et la Conférence des doyens des facultés de médecine regrettent également que “la visite auprès de la médecine du travail ou de la médecine universitaire [ne soit] pas obligatoire et [que] le certificat médical d'aptitude demandé en début de l'internat reste une formalité, réalisé entre deux portes, ne contenant pas d'évaluation psychologique”.

“Une enquête judiciaire devra désormais faire la lumière sur tous les suicides”


De leur côté, les syndicats Jeunes Médecins et Action Praticiens Hôpital ont “décidé de saisir dorénavant systématiquement la justice afin de mettre les pouvoirs publics face à leurs responsabilités”. “Une enquête judiciaire devra désormais faire la lumière sur tous les suicides qui surviendront parmi les praticiens des établissements publics de santé”, annonçaient-ils le 30 mars, suite aux suicides de l’urologue Nicolas Siegler, 37 ans, et du chirurgien Christophe Barrat, 57 ans.

De telles actions ont déjà été entreprises à l’encontre de l’assureur Groupama, condamné à 50 000 euros d’amende pour homicide involontaire après le suicide d’un salarié en avril 2012, et de la société de télécommunications France Télécom, jugée pour "harcèlement moral" après que dix-neuf salariés se sont donné la mort, douze ont tenté de se suicider et huit ont souffert de dépression ou été mis en arrêt de travail.

Mais la présence d’un hôpital public sur le banc des accusés pour des motifs similaires serait une première.

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