Pourquoi tenir les élections municipales était une aberration sanitaire

Pourquoi tenir les élections municipales était une aberration sanitaire

Le Fact Check de Jeunes Médecins #2

Transmission du covid-19 pendant la campagne, gaspillage de masques et de gels pour les bureaux de vote, alors que les hôpitaux en manquent cruellement... Mais pour le gouvernement, tout s’est bien passé.

“C’était impossible d’avoir tout clean, et les gens n’étaient pas encore vraiment conscients de l’épidémie”, rembobine Karl, agent de la ville de Paris dans un bureau de vote du 5e arrondissement. Il se rappelle avoir fait de son mieux pour que les consignes de distanciation soient respectées, et “pshité” au désinfectant stylos, tables, isoloirs après chaque passage. Quelques jours auparavant, la mairie lui a fourni une boîte de “plusieurs dizaines de masques”, des gants en latex, une petite réserve de gel hydroalcoolique, et un aérosol de désinfectant.

Dans le bureau de vote du 10e arrondissement de Paris que Philomène a présidé, du gel hydroalcoolique a été proposé à l’entrée et à la sortie. “On nous a donnés une quarantaine de masques, mais on n’a pas jugé utile de les porter. C’est galère de le garder toute la journée. On les a donnés pour les gens qui s’occupaient du dépouillement, et ils ont rendu les masques non-utilisés à la ville, qui les a donnés aux hôpitaux”, soutient-elle.

“Pourquoi nous a-t-on fait voter?”


La France possède 65.000 bureaux de votes, propices à la propagation du virus puisqu’entre 800 et 1.000 votants sont inscrits dans chacun. Les agents, assesseurs et présidents ont donc vu défiler beaucoup de monde ce 15 mars. “Dans mon bureau, je n’ai pas eu l’impression que l’abstention était plus élevée que pour un autre scrutin municipale”, note Philomène, qui s’est aperçue d’une grosse affluence “inhabituelle” le matin entre 8 et 10 heures.

Si pour elle, la tenue du scrutin “n’était pas plus risquée qu’en allant faire la queue à la boulangerie”, certains assesseurs regrettent fortement d’avoir tenus leurs bureaux de vote. Plusieurs de ces bénévoles ont contracté le virus quelques jours après le premier tour, et, s’il est difficile de savoir s’ils l’ont été le jour du vote, ils redoutent d’avoir participé à la transmission du coronavirus. Sur Twitter, le président d’un bureau de vote du 17e arrondissement diagnostiqué positif au Covid-19 a lancé un “cri d’alarme: pourquoi nous a-t-on fait voter? Combien de présidents de bureaux sont dans mon cas? Quel responsable nous a fait foncer tête baissée vers le virus?”, alors que le Premier ministre a assuré que maintenir ce premier tour était “sans danger”.

Le tacle de Jeunes Médecins


“Tenir les élections municipales était délétère de le cadre de cette épidémie”, tacle Emanuel Loeb, président du syndicat Jeunes Médecins. “Dans un premier temps, cela envoie un message contradictoire à la population en leur disant qu’on considère qu’il n’y avait pas de danger à sortir. Ca mène à une difficulté d’appropriation du message de confinement”, fait-il valoir. Il questionne également l’usage de matériel “utilisé à d’autres fins que protéger le personnel médical, alors que les hôpitaux connaissent une pénurie”.

“Le gouvernement dit qu’il n’y a aucun lien entre la contamination des assesseurs et le fait d’avoir tenu un bureau de vote. Cela augmente le risque, malgré les mesures de protection aléatoires mises en place par les communes”, poursuit-il, avant de conclure: “Au delà du scrutin c’est le maintien de la campagne qui a été un vrai vecteur de contamination”.

La campagne, avec ses meetings et ses porte-à-portes, pose aussi question


A Saint-Fons, petite commune de la métropole de Lyon, Chafia Zehmoul, cheffe de file de la liste “100% Citoyens”, et plusieurs de ses co-listiers ont contracté le Covid-19. Plusieurs de ces derniers sont d’ailleurs à l’hôpital, renseigne Me Banbanaste, l’avocat de la candidate. “La question se pose de savoir dans quelles conditions s’est passé le premier tour, mais aussi la campagne en amont”, pose-t-il. Pendant deux ou trois semaines précédents le vote, les équipes de Chafia Zehmoul et elle-même ont enchaîné les porte à porte. “Ca a forcément contribué à contaminer et à être contaminé”, suppose l’avocat. “Pourquoi on a laissé continuer ça?”, se demande-t-il, en étudiant les possibles suites judiciaires possibles.

Le Premier ministre et le ministre de la Santé poursuivis ?


Pour Me Petetin, avocat de Jeunes Médecins, la décision de reporter les élections est un pouvoir dans les mains du président de la République, mais aussi du Premier Ministre. “Dans des circonstances exceptionnelles, comme celles que nous connaissons actuellement, il dispose d’un pouvoir élargi, et peut prendre des mesures qui relèvent d’une autre autorité que la sienne”, renseigne l’avocat. A l'occasion du recours de Jeunes Médecins au Conseil d'Etat, le juge administratif a rappelé que le Premier ministre dispose de pouvoirs étendus en cas de circonstances exceptionnelles.

Quant à la responsabilité pénale, impossible de poursuivre le président: “il est immunisé pour tous les actes qu’il prend, mais aussi ceux qu’ils ne prend pas”, renseigne Me Petetin. Les autres autorités ne bénéficient pas de cette impunité. Ainsi, le Premier ministre, ainsi que le ministre de la Santé “dans une certaine mesure”, pourraient être pénalement responsables de ne pas avoir empêché la tenue de cet événement qui présentait “des risques importants pour la santé publique”.

“Les médecins étaient plutôt unanimes pour dire que les élections représentaient un risque. En s’abstenant de les reporter, il y a eu mise en danger de la population française”, commente Me Petetin, qui considère que la mise en danger d’autrui et l'abstention volontaire de prendre des mesures propres à couvrir un risque pourraient être invoqués.

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