Pourquoi les internes ne défendent pas plus l’hôpital public ?

Pourquoi les internes ne défendent pas plus l’hôpital public ?

Par le professeur Eric Vibert, chirurgien du foie et du pancréas

07/11/2019

[Tribune] Dans ce texte, le professeur Eric Vibert, chirurgien du foie et du pancréas, revient sur le rôle des jeunes médecins et la nécessité de repenser le CHU.

Jeunesmedecins.fr publie les points de vue et témoignages des membres de la communauté Jeunes Médecins, sur les questions de société, de santé, ou d’exercice. Ces tribunes reflètent la pluralité d’opinions de la nouvelle génération de médecins et ne représentent pas nécessairement le point de vue de la rédaction. 👉 Vous aussi contribuez - envoyez vos textes à la rédaction : redac (@) jeunesmedecins (point) fr

Par le professeur Eric Vibert, chirurgien du foie et du pancréas

Pourquoi les internes et les chefs de cliniques ne sont pas plus impliqués dans le mouvement actuel ? Est-ce qu'ils ne se sentent pas concernés par l'avenir de l'Hôpital Public ? Ils s'en moquent car la plupart partiront dans le privé et un hôpital public qui va mal, c'est une manière de préparer l'avenir... Non, je ne pense pas que nos jeunes collègues soient devenus aussi calculateurs et cyniques... Non, le problème est plus profond, plus grave : ils sont moins attachés à l'hôpital car le modèle et ceux qui y travaillent ne les font plus rêver...

Il faut de la passion



Si notre métier de soignant a un sens pour tout le monde, certains le font avec passion, d'autres au mieux avec plaisir et au pire avec lassitude. Ce n'est pas une perte de sens, c'est un manque de passion qui touche une grande partie du personnel hospitalier. Car c'est de la passion et un élan vital qu'il faut pour sauver l'hôpital public.

Que ce soit dans le vie amoureuse ou professionnelle, ce sont toujours des rencontres qui font les passions. J'ai nourri mes passions de gens inspirants que j'ai admiré au cours de ma formation professionnelle à l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris.

Je ne sens plus aujourd'hui la même passion chez nos jeunes collègues, nous n'inspirons plus ou beaucoup moins... L'anachronisme "hospitalo-universitaire" est devenu trop important pour que nous soyons des modèles pour nos futurs collègues et les difficultés actuelles n'améliorent pas les choses.

Les élèves des derniers grands mandarins



L'hôpital, et surtout le milieu "hospitalo-universitaire", est un vieux monde plein de nostalgie qui regrette son rayonnement d'antan. Les chefs de services actuels sont souvent les élèves des derniers grands mandarins, ils se sont construits sur ces modèles en rêvant pour certains, d'obtenir un jour la même position, le même rayonnement et surtout le même pouvoir, notamment vis-à-vis de l’administration.

En 2020, nos jeunes collègues ne veulent plus travailler 14h par jour, être « malmenés » au staff, insultés au bloc opératoire ou se retrouver 2eme auteur sur un papier dont ils ont écrit la 1ere mouture.


Le monde a changé autour d'eux, certains ne l'ont même pas vu mais beaucoup l'ont compris et l'acceptent avec plus ou moins de nostalgie, voir de regret. Lors de la marche pour l’hôpital entre la Pité et Bercy, en soulignant avec justesse cette crise des passions chez les plus jeunes, un ancien chef de service récemment retraité me disait: "Finalement, les grands mandarins nous inspiraient... Il faut qu’ils reviennent !". Je l’ai regardé avec un regard amusé et il m’a inspiré ce petit texte.

Réinventer le CHU



Notre rôle, je parle des PU-PH qui ont encore entre 20 et 30 ans de carrière devant eux, est de réinventer le CHU, son organisation hiérarchique et son état d'esprit au sens propre du terme.

En 2020, nos jeunes collègues ne veulent plus travailler 14h par jour, être « malmenés » au staff, insultés au bloc opératoire ou se retrouver 2eme auteur sur un papier dont ils ont écrit la 1ere mouture. Je l'ai vécu et pire je l'ai peut-être même reproduit... Il faut changer de méthode, perdre moins de temps à s'écouter parler, écouter les autres, reconnaitre que l'on ne sait pas plutôt que de vivre sur des dogmes, dire « je ne sais pas » plutôt que « on ne sait pas… » et parler de ses doutes, de ses erreurs.

C'est aussi à nous de lutter contre notre misogynie naturelle qui devient criante dans un CHU où de plus en plus d'internes et chefs de clinique sont des femmes avec si peu qui deviennent hospitalo-universitaires, en particulier en chirurgie.

Aujourd’hui, on fait de très grosses opérations dans les cliniques et on est mieux payé… C’est surtout la recherche, l’innovation et l’enseignement qui feront rayonner le CHU au-dessus des cliniques privées. Dans le domaine du soin, c’est la sensation d’appartenir à une équipe (et pas un équipage derrière le capitaine…) qui fera rester les soignants (au sens le plus large du terme…) à l’hôpital.

Ouvrir les CHU au delà des facs de médecine



Pour la recherche et l’innovation, il est temps d'ouvrir les CHU vers l'université et pas uniquement vers la Faculté de Médecine. C'est une nécessité car c'est la sensation de changer le monde, de réaliser de grandes choses qui fait pour beaucoup dans l'investissement hospitalo-universitaire. Il y a 20 ans, on ne regardait pas l'heure quand on participait à une transplantation hépatique car chaque opération était comme aller sur la lune... En 2020, on va presque 200 fois par an sur la Lune au centre hépato-biliaire de Paul Brousse... Pour réanimer les passions, il faut aller sur Mars et ce n'est pas uniquement entre docteurs en médecine que l'on ira aussi loin...

Le vieux monde confond l'erreur et la faute. Il blâme, il punit plutôt que de comprendre, de tirer profit voir d'inventer.


L'innovation au CHU passera par des interactions fortes, au sein de l’hôpital, avec d'autres métiers notamment des étudiants chercheurs en mathématiques, en informatique ou en robotique mais aussi en anthropologie ou en sociologie pour que les esprits puissent accompagner les transformations plutôt que les bloquer...

Se tromper pour avancer



C'est en donnant à nos jeunes collègues les moyens d'innover que l'on ravivera les passions. Outre l'intégration de ces nouveaux acteurs à l'hôpital, il faut transformer les procédures pour obtenir plus simplement et surtout plus rapidement des autorisations de la part des CPP ou de l'ANSM quand on veut faire de la recherche. Aujourd’hui, la quantité du travail pour avoir le droit de faire est presque supérieure à celle qu'il faut pour faire...

C'est aussi en se donnant l'autorisation de se tromper en transformant notre rapport à l'erreur que l'on avancera. Le vieux monde confond l'erreur et la faute. Il blâme, il punit plutôt que de comprendre, de tirer profit voir d'inventer. On ne trouve jamais rien de vraiment nouveau quand on connait déjà ce que l’on cherche. Les grandes innovations sont toujours le fruit du hasard et le plus souvent des erreurs ou des presque erreurs... Dans un monde de plus en plus normé où les ordinateurs ne se trompent jamais, nos erreurs resteront notre seul avantage par rapport à l'IA. Notre immense faute serait de les cacher ou pire de ne pas les comprendre.

Donnons-nous les moyens d'évaluer et de critiquer nos pratiques en mettant en place des "boites noires" au bloc opératoire avec des infirmières cliniciennes qui nous aiderons à renseigner les suites opératoires dans des bases de données en prenant en compte l'avis du malade. Ce sont d’ailleurs les objectifs de la chaire d’innovation Bloc opératoire Augmenté (BoPA) que nous mettons en place à l’Hôpital Paul Brousse au sein d’un partenariat entre l’AP-HP et l’Institut Mines Telecoms (https://www.imt.fr/offres-entreprise/chaire-innovation-cockpit-chirurgical-ok-blok/)

Ce seront ces outils qui nous permettront d'évaluer enfin correctement la qualité de nos soins et d’apporter un peu de méritocratie financière pour l’ensemble des membres d’une équipe qui se donne les moyens de ses succès et de ses innovations dans le soin, la recherche ou l’enseignement. Cette capacité à inspirer et à garder les jeunes à l’hôpital est d’ailleurs en soi un élément qui doit faire partie de l’évaluation d’une équipe hospitalo-universitaire. J’espère que l’on y arrivera et tout cas, moi, j’aurai été à bonne école mais il m’aura fallu de temps pour vouloir la changer...

C'est urgent, il est temps de sortir de la chapelle et d’inspirer de nouveau le futur pour mettre nos jeunes collègues dans la rue le 14 novembre. J’espère qu’ils seront présents en nombre sinon on restera entre « vieux jeunes » et « vieux vieux » comme à un enterrement….

Auteur: Professeur Eric Vibert, chirurgien du foie et du pancréas

👉 Vous aussi, contribuez! Envoyez vos textes à la rédaction : redac (@) jeunesmedecins (point) fr

Pas encore adhérent ?

Faites partie de la communauté des Jeunes Médecins

  • > Faites-vous entendre et participez au renouveau de la profession
  • > Profitez des offres et des avantages réservés aux adhérents
  • > Participez aux événements dans votre région