Journal de bord d'un hôpital covidé : « Quelque chose de vraiment beau s’est mis en place », Dr Jeanne Goupil

Journal de bord d'un hôpital covidé : « Quelque chose de vraiment beau s’est mis en place », Dr Jeanne Goupil

22/04/2021

Rencontre avec cette cheffe de clinique spécialisée dans les maladies infectieuses à l’hôpital Avicenne de Bobigny qui a tenu un journal de confinement pendant toute la période du 16 mars au 10 mai 2020. Ce carnet de bord d’un « hôpital covidé », vient de faire l’objet d’un documentaire sur la RTBFet la RTS*.

Jeunes Médecins : Quel a été le déclic qui vous a conduit à vouloir tenir ce journal ?


Dr Jeanne Goupil : A la base, beaucoup d’amis qui ne sont pas dans le secteur médical me demandaient souvent des nouvelles de ce qui se passait à l’intérieur de l’hôpital lorsque la crise est arrivée. Il y avait une grosse anxiété ambiante. Du coup, j’ai commencé à faire régulièrement des notes vocales, ce qui est un mode de communication que j’utilise beaucoup, que je leur envoyais. Et finalement, j’ai vu que ça intéressait les gens, alors je me suis dit : je vais enregistrer tous les jours ce que je vis au quotidien. C’est parti de là, en fait.

Du coup, quel regard portez-vous sur la réalité de cette situation inédite ?


Dr Jeanne Goupil : Cette période, très angoissante d’un point de vue global, je l’ai trouvée assez belle et finalement plutôt rassurante sur ce que les gens sont capables de faire quand ils sont confrontés à une situation de crise. Dans le service, quelque chose de vraiment beau s’est spontanément mis en place. Une solidarité de tous les personnels, à tous les niveaux, pour s’occuper des patients. Ce qui était assez rassurant puisqu’on ne sait jamais comment va s’organiser le chaos. Et là, tout le monde était présent pour les patients et ne se posait pas trop la question de savoir s’ils allaient eux aussi attraper le Covid. Même si l’anxiété et l’interrogation étaient réelles, elles passaient au second plan. La priorité c’était d’assurer pour les patients. J’ai trouvé ça hyper-beau et j’ai trouvé qu’il fallait en témoigner.

Et donner ainsi la parole à tous les acteurs…


Dr Jeanne Goupil : Face à la crise tout le monde à fait bloc. C’est pour cela que le documentaire a été réalisé en deux parties. Moi, j’ai enregistré sans vraiment savoir ce que ça allait devenir. Mais durant ce temps, j’ai eu aussi l’impression que pas mal de gens dans l’hôpital qui travaillaient avec la même dévotion que les soignants, n’avaient pas vraiment conscience de la valeur de leur engagement. Ce qui me posait question parce qu’au final, ils étaient là aussi et s’exposaient tout autant et de la même manière. J’avais envie de leur laisser la parole. C’est pourquoi, avec la réalisatrice, Leslie, nous avons aussi interrogé les autres corps de métier de l’hôpital.
Ceux qu’on voit peu, dont on ne parle pas beaucoup, mais qui sont un maillon de la chaîne tout aussi important, ce qui n’a pas été tellement souligné à l’époque. Les applaudissements étaient à destination des soignants mais pas des autres.

A ce propos, comment avez-vous vécu ces applaudissements de 20h ?


Dr Jeanne Goupil : Avec ambivalence. D’une certaine façon, c’était un peu dérangeant. Les gens nous applaudissaient pour notre investissement et notre engagement dans la prise en charge des patients, mais en même temps, cela fait quand même longtemps maintenant que nous alertons sur la difficulté du travail à l’hôpital du fait du manque de moyens. Là, les gens se sentaient touchés personnellement en se rendant compte qu’ils pouvaient attraper le coronavirus. La deuxième chose, c’est que nous avons été érigés en héros, et je ne pense pas que ce soit une bonne chose. Parce que justement, nous ne sommes pas des héros. Il y a eu beaucoup d’autres personnes pour qui ça a été très difficile. Ce n’est pas bon de mettre les soignants sur un piédestal. D’autant que ce statut de héros ne dure qu’un temps. La preuve, c’est aujourd’hui tout autant difficile et on ne nous applaudit plus. Mais comme la situation a désormais moins l’aspect « sensationnel » qu’au début de la crise, les gens sont moins touchés.

Au quotidien, dans les hôpitaux, a-t-on appris de la première vague de l’épidémie en terme d’organisation des soins ?


Dr Jeanne Goupil : Absolument. Quand j’ai commencé à m’enregistrer en mars 2020, nous les infectiologues étions tout le temps sur pont. Personne ne connaissait le Covid, et comme c’est une maladie infectieuse, c’est vers nous que tout le monde se tournait. Les services ont dû se réorganiser. Les gens venaient et on les formait : on apprenait le Covid aux endocrinologues, aux cardiologues… un virus que nous-mêmes venions tout juste d’apprendre. Mais maintenant, l’organisation est rôdée, tous les médecins de l’hôpital et tous les services savent faire du Covid. Nous ne sommes plus à devoir tout assumer.
En revanche, certains corps de métier comme celui des réanimateurs sont eux aujourd’hui hyper sollicités. Tout comme les virologues, ceux qui font les tests de PCR, qui n’arrêtent pas et qui doivent de plus s’occuper de leurs patients habituels. Cette réalité on en parle peu.

Y aura-t’il une suite au documentaire ? Continuez-vous à tenir votre journal de bord ?


Dr Jeanne Goupil : Pour l’instant, il n’y a pas de suite de prévue. Mais les réalisateurs avaient été touchés par les témoignages et m’ont demandé s’ils pouvaient revenir, plus tard. Donc ce n’est pas figé, mais moi en tout cas, je ne m’enregistre plus. Ce qui m’importait c’était de témoigner de ce qui se passait dans les relations entre les équipes. J’ai trouvé bluffant l’humanité qui se dégageait de tout cela. Les situations de crises génèrent très souvent des réactions négatives, des critiques sur la façon dont elles ont été gérées. Nous avons voulu mettre l’accent sur un autre aspect, parce qu’au final, des choses super belles sont aussi sorties de cette épidémie.

* https://www.rts.ch/play/radio/le-labo/audio/carnet-de-bord-dun-hopital-covide?id=12052180
https://www.rtbf.be/auvio/detail_par-oui-dire?id=2750979



Crédit Photo : DR

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