Face au sexisme dans la profession, les jeunes médecins s'engagent

Face au sexisme dans la profession, les jeunes médecins s'engagent

Quand elles le dénoncent, on les traite de “sainte nitouche”

28/02/2020

Une parité pas respectée, des remarques de profs sur la tenue des élèves, des discriminations liées à la grossesse… Le sexisme est toujours bien ancré dans la médecine. L’initiative Donner des Elles à la santé entend mobiliser la communauté médicale pour changer les choses.

“Le sexisme dans la médecine est assez traître”, expose Lila, étudiante en D1 et présidente de l’asso féministe Les Carabines à Paris V. “On a pas l’impression que c’est un environnement sexiste parce qu’il y a beaucoup de filles”.

Pourtant, la jeune femme y est régulièrement confronté. Elle raconte les blagues “relativement douteuses” de ses profs sur l’hystérie, les montages sexistes sur les diapos de cours, les remarques sur les habits - “Un prof a dit qu’une interne qui s’habillait avec un jean troué, c’était de la provocation”, ou encore l’omniprésence du pénis dans les cours, invisibilisant le sexe féminin. “Tous les présidents et trésoriers des assos sont des hommes, et les secrétaires sont des femmes… C’est très stéréotypé”, observe-t-elle.

La culpabilisation de la grossesse


Le problème se poursuit au delà des amphis, dans les couloirs de l’hôpital. 2 ans après sa grossesse, Lamia Kerdjana, présidente de Jeunes Médecins Île de France et anesthésiste-réanimatrice, ne décolère pas. Dans un service de réa’ débordé où les jours de non-clinique se comptent sur les doigts de la main, la jeune mère en a bavé. “A partir du moment où je suis tombée enceinte, on m’a retiré tous mes jours non cliniques en me disant que de toute façon, j’allais être en vacances après. C’était à l’initiative du chef de service”, se rembobine-t-elle. Au delà de ça, elle se rappelle des attitudes visant à la culpabiliser de manquer le travail pour son congé maternité. “On te fait comprendre que la charge de travail est répartie sur les autres, et que du coup t’es égoïste de tomber enceinte. Ils nient le besoin d’épanouissement personnel.”

Dans sa mésaventure, Lamia a constaté une fracture générationnelle entre ses collègues plus jeunes et plus âgés. “Les plus jeunes n’essayaient pas de me culpabiliser, ils trouvaient ça normal que je veuille avoir des enfants à 32 ans, puisqu’eux mêmes allaient devenir papa. Mais les plus vieux étaient plus durs là dessus. Un des PH du service m’a carrément dit : ‘’Quand j’étais chef de clinique j’étais tout le temps à l’hosto, tu peux attendre un peu avant de faire des enfants quand même.’’ C’est hallucinant.”

‘’Toutes et tous, faisons avancer l’égalité femme-homme’’


Et le gouvernement est loin de montrer le bon exemple. Alors qu’Agnès Buzyn était encore Ministre de la Santé, elle avait lancé une mission relative à la simplification hospitalière. Parmi les 6 membres qui la composent, on compte déjà 5 hommes. Pour Lila, “il faut dès maintenant conscientiser les gens sur ces problèmes là, qu’ils le réalisent. C’est pas parce qu’on est en médecine, avec une majorité de filles et de classe sociale favorisée que c’est pas un problème qui nous touche”.

Selon un sondage Jeunes Médecins sur notre site et nos réseaux sociaux auquel 150 de nos adhérents ont répondu, 44% d’entres eux auraient déjà été victime de sexisme dans leur exercice quotidien.

Le 25 mars, Lamia et Lila se retrouveront pour parler de leurs expériences lors d’un événement organisé par Donner des Elles à la santé, une initiative portée par Catherine Auzimour, une médecin reconvertie dans l’entreprenariat. “Nous voulons créer collectivement les conditions favorables au développement des carrières des femmes à l’hôpital. Notre slogan c’est: ‘’Toutes et tous, faisons avancer l’égalité femme-homme’’”, explique-t-elle, en insistant sur l’importance de travailler avec des structures locales “au sein des hôpitaux ou des universités”, comme l’asso Les Carabines. “Aujourd’hui, il n’y a pas grand chose qui est fait. Pour les femmes, ça paraît évident qu’il faut y aller. Pour les hommes, un peu moins.”

Un sondage sur 500 médecins


En vue de préparer la journée du 25 mars, Donner des Elles à la Santé a commandé à Ipsos un sondage sur 500 médecins. “Le pourcentage de femmes qui disent avoir vécu du sexisme dans leur carrière est extrêmement important. Les premiers chiffres que l’on peut donner sont un peu supérieurs à ce qu’on peut observer dans d’autres secteurs”, analyse Catherine. “Ce qui est assez marquant, c’est que le fait d’avoir des enfants ou d’être en grossesse est extrêmement discriminant. C’est un des premiers points qui sort”.

Dénoncer l’humour carabin


De son côté, Lila a préparé un questionnaire. “Ce que nous dit notre document, c’est que les gens pensent que la situation va s’arranger toute seul avec le renouvellement des générations, alors que non. L’étude menée par Donner des Elles montre que les mêmes stéréotypes existent chez les plus et moins de 45 ans. Le monde médical est assez archaïque, il y a un très lourd poids des traditions, qu’il ne faudrait pas trop bouger.”

Lamia, quant à elle, pointe du doigt “l’humour carabin”, spécifique à la médecine. “Les jeunes externes n’acceptent plus ça”, constate-t-elle. “Mais quand elles s’élèvent contre cet humour, on les traite de sainte-nitouche. C’est tellement ancré qu’on ne trouve pas ça normal de le dénoncer”.

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