Covid 19 saison 2 ou « Quand l’Etat se désengage »

Covid 19 saison 2 ou « Quand l’Etat se désengage »

"Personne n’imagine faire de la prévention de la transmission du VIH fondée sur l’abstinence."

[TRIBUNE] Le Dr. Martin Blachier, médecin de santé publique et CEO de Public Health Expertise, appelle l'Etat a prendre ses responsabilités et à penser à une stratégie globale du port du masque, plutôt que de laisser les acteurs locaux décider au doigt mouillé.

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Par Martin Blachier, médecin de santé publique et CEO de Public Health Expertise

L'épidémie de Covid19 que nous traversons va probablement durer. Aucun pays n’a vu disparaitre la circulation du virus même après plusieurs jours à semaines sans nouveaux cas. Globalement, le nombre de nouveaux cas continue d’augmenter de façon exponentielle. (1) Les estimations du nombre de personnes ayant été infectées suggèrent que nous sommes encore loin de l’immunité de groupe. (2)

L’arrivée d’un vaccin efficace, encore très hypothétique à ce stade, ne permettra pas un contrôle immédiat de l’épidémie. En effet, son efficacité ne sera probablement pas de 100% et il faudra du temps pour vacciner la population. Ainsi, la façon dont nous allons gérer cette année devrait occuper les esprits de nos gouvernants de façon continue. Il ne s’agit pas plus d’un sprint, mais d’un marathon.

Ne pas cantonner le débat à "où porter le masque?"



Nous sommes devant une épidémie virale pour laquelle il semble que les principales voies de transmission sont les postillons de toutes dimensions (de la macrogoutellette à l'aérosol) (3) , (4) que nous émettons par le nez ou la bouche, lors d’éternuement ou de toux, mais probablement également lorsque l’on parle, chante, ou fait de l’exercice.

Ainsi, quasiment tous les clusters identifiés sont des situations où des personnes ont partagé un lieu clos pendant quelques heures avec un contaminant le plus souvent sans symptômes. Le port d’un masque même simple en tissu semble réduire fortement le risque de contamination à l’intérieur. Dans plusieurs salons de beauté où le port du masque était obligatoire, 139 personnes ont été exposées à un coiffeur infecté et aucune contamination n'a été rapportée. (5)

Le débat ne doit pas porter sur où porter le masque, mais comment organiser la vie de la société française pour concilier le port du masque dans la durée en garantissant le bien-être des citoyens. Rappelons-nous que la santé est un état de complet bienêtre physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité (6) .

Ne pas condamner une génération entière



Prenons le port du masque. Est-ce une nécessité ? Dans les lieux clos ? Dans quelles situations ? En extérieur ? Cette question est loin d'être simple, et est trop souvent simplifiée dans le discours récent. Que dit-on aux entreprises ? Comment prépare-t-on la rentrée des classes, essentielle pour ne pas condamner une génération entière, essentielle pour ne pas aggraver les inégalités sociales ? (7) Que dit-on aux jeunes gens qui ont envie de se retrouver ? Comme l’ont chanté Patrick Bruel et d’autres : « On n'a pas tous les jours vingt ans ».

A qui la responsabilité?



La pire des solutions est de simplement déléguer la décision et la responsabilité sur les directeurs d'école, les chefs d'entreprises, les parents et les responsables des bars et restaurants. En effet, cela conduira inévitablement à l'application d'un principe de précaution maximal qui fera monter petit à petit la pression dans la société.

Les rumeurs et les opinions qui circulent suffiront à appliquer des mesures déconnectées de la connaissance scientifique entretenant un cercle vicieux de confusion qui finira par une explosion sociale. Cette prochaine année doit au contraire être planifiée et organisée par un exécutif fort, éclairé par une expertise solide, en prenant en compte tous les effets potentiellement délétères de chaque décision. Quelques exemples :

- Si l'on empêche les jeunes de se rassembler en extérieur, ou si on leur fait porter un masque en terrasse, ils organiseront des soirées privées en intérieur sans aucune protection. Il ne s’agit pas d’égoïsme ou d’inconscience de la part des jeunes. Il existe des pans entiers de la promotion de la santé dédiée à trouver le bon message et des solutions compatible avec la population ciblée. Personne n’imagine faire de la prévention de la transmission du VIH fondée sur l’abstinence.

- Si l’on n’organise pas la stratégie de tests, les gens vont se ruer sur les tests sans aucune raison autre que celle de la gratuité. Cet afflux est déjà responsable de délais de traitement et de pénurie qui rend la stratégie de test probablement inutile. Par ailleurs, les performances des tests ne sont pas parfaites. La signification d’un test positif ou négatif dépend du risque à priori que la personne réalisant le test soit infectée. Si uniquement des personnes sans risques réalisent les tests alors la majorité de ces derniers seront des faux positifs, ayant des conséquences sociales délétères (isolement, arrêt maladie ou absence scolaire) qui auraient pu être évitées. À l’inverse, après 2 tests négatifs, il est possible que les individus laissent tomber et ne refassent plus les 2 heures de queue même en cas de petits symptômes. Cette situation ne va qu’empirer à la rentrée et durant l’hiver ou la circulation des autres virus respiratoires va être responsable d’une forte augmentation des symptômes similaires à ceux de SARS-COV-2.

Il faut doser chaque effort demandé aux Français



Il faut doser chaque effort demandé aux Français pour que ces efforts puissent être acceptés et maintenus
dans le temps. Il faut étudier en détail chaque mesure, à la lumière des connaissances toujours croissantes sur le SARS-COV-2, pour en déceler les bénéfices, mais aussi les effets secondaires potentiels. Il n’y a pas de solution facile, simple ou parfaite en santé. C’est pour cette raison que la médecine moderne est tant attachée aux principes scientifiques, aux études cliniques ou épidémiologiques, aux méta-analyses et niveau de preuves, aux recommandations de bonnes pratiques, aux réunions de concertation pluridisciplinaire. Les décisions en santé doivent être guidées par un impératif : s’assurer que la balance bénéfice-risque de chaque décision soit favorable aux individus et à la population dans son ensemble.

Je doute que le simple bon sens de chaque responsable de tous niveaux soit suffisant.

Par Martin Blachier, médecin de santé publique et CEO de Public Health Expertise

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1 The Johns Hopkins Coronavirus Resource Center, Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health. 2020. Disponible sur: https://coronavirus.jhu.edu/
2 Salje, Henrik, et al. "Estimating the burden of SARS-CoV-2 in France." Science (2020).
3 Morawska L and Cao J. Airborne transmission of SARS-CoV-2: The world should face the reality. Environment International. 2020; 139: 105730.
4 Stadnytskyi V, Bax CE, Bax A and Anfinrud P. The airborne lifetime of small speech droplets and their potential importance in SARS-CoV-2 transmission. Proceedings of the National Academy of Sciences. 2020; 117: 11875.
5 Hendrix MJ, Walde C, Findley K, Trotman R. Absence of Apparent Transmission of SARS-CoV-2 from Two
Stylists After Exposure at a Hair Salon with a Universal Face Covering Policy — Springfield, Missouri, May 2020. MMWR Morb Mortal Wkly Rep 2020;69:930-932. DOI: http://dx.doi.org/10.15585/mmwr.mm6928e2
6 Préambule à la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé, tel qu'adopté par la Conférence internationale sur la Santé, New York, 19 juin -22 juillet 1946.
7 António Guterres. The future of education is here. 2020. https://www.un.org/en/coronavirus/future-
education-here

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