Comment nous avons construit en 72h une plateforme COVID-19 qui a aidé 700 000 personnes (et qui continue à le faire) ?

Comment nous avons construit en 72h une plateforme COVID-19 qui a aidé 700 000 personnes (et qui continue à le faire) ?

[TRIBUNE] Dans journal de bord, le Dr Clément Goehrs, PDG et co-fondateur de Synapse Medicine, raconte comment son équipe et lui ont élaboré en 72h la plateforme Covid19-medicaments, reprise par le ministère de la Santé.

Samedi 14 mars matin : le Ministre de la Santé tweet concernant les AINS et les corticoïdes
Il est 11h38 le samedi 14 Mars, quand Olivier Véran, ministre de la Santé, tweet le message suivant : « #COVIDー19 | La prise d’anti-inflammatoires (ibuprofène, cortisone, …) pourrait être un facteur d’aggravation de l’infection. En cas de fièvre, prenez du paracétamol. Si vous êtes déjà sous anti-inflammatoires ou en cas de doute, demandez conseil à votre médecin.»



Cela fait plus de 2 ans qu’avec Synapse Medicine, je travaille chaque jour sur l’information médicamenteuse. Par expérience, je sais que ce message, peut poser plusieurs problèmes : beaucoup vont continuer à prendre certains médicaments en auto-médication sans savoir qu’il s’agit d’anti-inflammatoires. Et à l’inverse, des centaines de milliers de patients risquent de paniquer et d’arrêter leurs traitements chroniques. Cela peut également générer une quantité considérable d’appels au 15 et aux médecins traitants, pourtant déjà débordés.

J’appelle notre directeur médical et co-fondateur, le Dr Louis Létinier, pharmacologue, pour en discuter. Nous tombons d’accord en quelques minutes : nous devons faire quelque chose. Ce quelque chose se doit d’être simple, utilisable par tous, et surtout : disponible dans les prochaines heures. Le besoin est clair : il faut permettre à n’importe quel patient présentant des symptômes de Covid-19 de pouvoir vérifier en quelques secondes si un ou des médicaments sont connus pour aggraver la maladie. C’est donc là-dessus que nous allons concentrer nos efforts.

En suivant, j’appelle Alicia Bel-Létoile, notre CTO, pour lui demander si elle accepte de travailler tout le WE, et si elle peut réunir une task force au sein de notre équipe, pour travailler en continu sur les prochains jours. Elle accepte sans hésiter 🙏🏻. Avant 13 h, la task force est constituée et prête à travailler.

Nouvelle discussion avec Louis : il nous semble fondamental de ne pas réaliser ce projet seuls. La responsabilité et l’impact de santé publique sont très importants : il nous faut impliquer les pouvoirs publics.

Samedi 14 mars après-midi : constitution d’un consortium scientifique, premières maquettes
Depuis plus de 3 ans, Synapse Medicine a construit un solide réseau de partenaires institutionnels, avec lesquels nous collaborons notamment sur des aspects de recherche et développement : différents CHU, le Réseau des Centres Régionaux de Pharmacovigilance (CRPV), la Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique (SFPT), l’ANSM… Nous travaillons avec certains depuis plusieurs années, et je sais qu’ils nous accordent leur confiance. Suffisamment pour nous suivre en urgence sur un projet de cette ampleur. Louis contacte immédiatement le Pr Mathieu Molimard (pharmacologue, Chef de Service du Département de Pharmacologie Médicale de Bordeaux et membre de la SFPT) ainsi que le Dr Annie-Pierre Jonville-Bera (pharmacologue, Présidente de l’Association Française des Centres Régionaux de Pharmacovigilance), pour constituer un comité scientifique.

Je prends en charge le contact avec les autorités de santé : je souhaite savoir si un tel projet est déjà prévu par le Ministère, pour ne pas faire doublon, et si cette initiative permettrait de les aider.

Dès 14h, nous discutons donc avec l’ensemble des acteurs. Le Réseau des CRPV accepte de mettre à disposition ses ressources pour prendre en charge les appels des patients, toujours avec l’objectif de désengorger le 15. Le Pr Molimard et le Dr Jonville-Bera forment un comité scientifique qui se réunira quotidiennement pour valider les arbres décisionnels et les messages de recommandations donnés par la plateforme. Les autorités sanitaires ont également fait un premier retour très favorable.

Il faut maintenant mettre le site entièrement sur pied. Nous sommes en plein cœur de la vague épidémique : chaque heure compte.

Fort heureusement, nous avons la chance de pouvoir compter sur une équipe qui, malgré les conditions de télétravail, demeure extrêmement organisée. Les premières spécifications du produit sont rédigées et validées dans l’après-midi, et permettent à notre webdesigner de créer les premières maquettes. En parallèle, notre équipe data science met en place les services qui permettront d’alimenter la plateforme.

Notre équipe de développement commence le travail dans l’après-midi : il se poursuivra une grande partie de la nuit, et toute la journée de dimanche.

Dimanche 15 mars : première version, multiples itérations
C’est la partie ingrate du travail, qui prend peu de mots à raconter, et qui est pourtant fondamentale : dimanche est donc consacré aux premières versions, multiples tests et consolidations du site. Les recommandations se doivent d’être toutes validées, et le site d’avoir un comportement à 100 % fiable. Nous en avons l’habitude, mais la situation d’extrême urgence ajoute un stress considérable.

Dans la nuit de dimanche à lundi, une version est figée. La mise en production du site est prévue pour le lendemain.

Lundi 16 Mars : lancement du site 🏁
À 13h, le 16 mars, le site covid19-medicaments.com est officiellement lancé.

Dès 14h, il est repris sur le site du Ministère de la Santé.

Entre 14h et minuit ce jour-là, ce sont presque 10 000 analyses qui seront réalisées sur le site.

Dans les jours qui suivent, il aidera 700 000 personnes.

Les jours suivants…

Au pic de l’épidémie en France, ce seront plus de 100 analyses par minute qui seront réalisées sur le site. A l’heure où sont écrites ces lignes, plus de 700 000 personnes l’ont utilisé. 50 000 alertes concernant la prise d’AINS en auto-médication ont été générées, et des dizaines de milliers d’appels au 15 probablement évités, en les redirigeant vers les CRPV.

Aucune donnée personnelle n’est récoltée sur le site, aucun cookie n’est placé sur le navigateur. Seuls les médicaments renseignés sont stockés, totalement anonymement donc. L’ensemble des données est remonté quotidiennement à l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament, pour aider à monitorer l’épidémie et ses conséquences.

Le site a été répertorié un peu partout, et notamment sur l’excellente plateforme maladiecoronavirus.fr .

Il est continuellement maintenu et mis à jour par les équipes de Synapse Medicine, en fonction des recommandations du comité scientifique.

En tant que médecin de santé publique, épidémiologiste, et CEO de Synapse Medicine, je suis incroyablement fier de notre équipe et de cette réalisation. Elle est la preuve, s’il le fallait encore, qu’il est possible pour une start-up de travailler en bonne intelligence avec les autorités sanitaires, et d’avoir un impact national sur la santé des Français.

Restez prudents.

Par le Dr Clément Goehrs, PDG et co-fondateur de Synapse Medicine

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